Révai József: Études historiques - Studia historica Academiae Scientiarum Hungaricae 10. (Budapest, 1955)

Liberté hongroise - liberté universelle

2 J. RÉVAI résonner d’une main sanglante» n’était qu’une harpe innocente et douce. Cependant, il s’avéra parfaitement impossible de faire de Petőfi le poète attitré des István Tisza, István Bethlen et Gyula Gömbös. Malgré le costume «popu­laire et national» dont l’affubla l’histoire littéraire hongroise, il demeura un ennemi et un révolutionnaire. S’adressant aux seigneurs qui profanaient la mémoire du poète, Endre Ady s’était écrié : «Petőfi ne marchande pas !» Et récemment, dans son livre sur l’oeuvre du grand poète, Gyula Illyés a démontré que la poésie de Petőfi était celle de la lutte contre la Hongrie des Pál Pató d’il y a quatre-vingt-dix ans, et contre la Hongrie d’anjourd’hui, pays des- Esterházy, Pallavicini et Bethlen. D’ailleurs, ceux qui interdisent aux associa­tions ouvrières et aux cercles de lecture villageois de réciter ses poésies, n’ont que faire de Petőfi. Dans l’ancienne Hongrie déjà, les personnages vraiment illustres de la révolution de 1848 avaient été reniés. Quant à la Hongrie contre-révolutionnaire, elle opère ouvertement et en pleine connaissance de cause la révision réaction­naire de l’histoire hongroise. Pour l’historiographie réactionnaire hongroise de nos jours, le 15 mars 1848 n’est point la plus glorieuse journée de l’histoire de Hon­grie, mais un jour de deuil, marquant la date où le pays tomba dans le péché de la révolution. Elle reproche à Lajos Kossuth de s’être placé, il y a quatre­­vingt-dix ans, à la tête de la lutte que le peuple hongrois avait engagée pour assurer sa propre défense, et d’avoir empêché que la Hongrie ne capitulât devant l’attaque à main armée, déclenchée par les Habsbourg. Ce n’est point par hasard que dans la Hongrie d’aujourd’hui, la réaction professe un culte pour les adversaires politiques de Kossuth, pour István Széchenyi et Lajos Batthyány. Quelque grands qu’aient été leurs mérites sous l’ère des réformes qui précéda la révolution de 1848, ce culte leur est voué parce qu’ils ont reculé devant la guerre de l’Indépendance et, contrairement à Kossuth, avaient voulu persuader la nation de renoncer à la résistance et de capituler devant les Habsbourg conquérants. Les hommes qui ont voulu plier le peuple hongrois sous le joug du fas­cisme et qui, pour servir l’impérialisme allemand, ne cessent de proclamer la «faillite du libéralisme», ces hommes-là ont-ils le droit de célébrer la mémoire des grands libéraux hongrois tels que Ferenc Kölcsey, József Eötvös, László Szalay, Lajos Kossuth et tant d’autres encore? Ce n’est point par hasard que les historiographes réactionnaires d’aujourd’hui ccmptent la période du déclin de la Hongrie à partir de l’activité politique de Kossuth, à partir des années 40 du siècle dernier. Pour la réaction, l’aurore de la liberté devint le crépuscule rougeoyant de la décadence. Pour le peuple travailleur hongrois, le 15 mars 1848 est non seulement une tradition exaltante, mais aussi un programme vivant, une ligne de con­duite qui n’a rien perdu de son actualité. Aujourd’hui encore, cette date est pour lui une source abondante de précieux enseignements.

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